
Hélène Quénot-Suarez et Aline Leboeuf viennent de publier à l’Ifri une Étude intitulée La politique africaine de la France sous François Hollande, renouvellement et impensé stratégique (disponible ici). Dans une série d’articles publiés sur ce blog, Hélène Quénot-Suarez revient sur trois grands thèmes abordés dans l’ouvrage : la normalisation des relations de la France à l’Afrique, la question des interventions militaires françaises sur le continent et la diplomatie économique. Ce post en est le premier volet.
Quand François Hollande accède à l’Élysée en avril 2012, il connaît peu l’Afrique subsaharienne. C’est paradoxalement une force pour son projet, qui est de « normaliser » la relation à l’Afrique et d’intégrer le continent dans des dynamiques transversales de développement. Quels sont les dynamiques et les moyens de cette normalisation ?
Refonder le discours de Dakar
François Hollande annonce dès 2012 – à Dakar – un renouvellement des relations avec le continent et la fin de la « Françafrique », basée sur les relations de confiance, sur la « banalisation » de la relation et sur l’importance donnée à la « bonne gouvernance ». Si ce discours de Dakar est en nette opposition symbolique et sémantique avec celui de son prédécesseur Nicolas Sarkozy, la « fin de la Françafrique » est, elle, un véritable élément de continuité puisqu’elle est régulièrement annoncée depuis la présidence de François Mitterrand. Par ailleurs, les dernières interventions militaires françaises de 2013 au Mali et en République centrafricaine (RCA) semblent être elles aussi un élément à charge pour ceux qui accusent la « Françafrique » d’être toujours à l’œuvre.
Cette apparente continuité masque pourtant des efforts réels – quoique limités – pour renouveler en profondeur la relation au continent africain.
Un renouvellement des hommes et des pratiques
Sous la présidence Hollande, la normalisation des relations entre la France et le continent africain est par exemple passée par une modification du personnel politique et diplomatique. Les acteurs impliqués dans les questions africaines – Pascal Canfin, délégué au développement au sein du ministère des Affaires étrangères (MAE), Hélène Le Gal à la cellule diplomatique de l’Élysée par exemple – sont plus jeunes et beaucoup moins centrés que leurs prédécesseurs sur le « pré carré » africain. Par ailleurs, ils n’ont pas connu les « grandes heures » de la Françafrique et la période Foccart. En outre, leur formation joue un rôle important dans leurs pratiques politiques : les diplomates comme Hélène Le Gal sont swahiliphones et donc logiquement tournés vers l’Afrique de l’Est. Mais surtout, ces acteurs ont à cœur de travailler au sein des appareils officiels et de ne plus répondre aux sollicitations des « émissaires gris » et autres « visiteurs du soir » envoyés par les chancelleries africaines à la marge du système. Si ces changements peuvent paraître ponctuels, ils ont pourtant contribué efficacement à rationnaliser et à clarifier le processus décisionnel sur l’Afrique.
« Tuer » la Françafrique : pari impossible ?
Pourtant, l’observateur ne se dépare pas d’un fort sentiment de continuité avec les pratiques antérieures. Pour quelles raisons ?
D’abord, il est difficile d’en « finir avec la Françafrique » parce que c’est un terme « fourre-tout » qui recouvre des réalités bien différentes. Créé par Félix Houphouët-Boigny dans l’immédiate post-indépendance, le terme a d’abord une connotation positive et décrit la « relation spéciale » qui unit la France à ses anciennes colonies. Mais, au fil du temps le terme a pris une connotation extrêmement négative, en particulier auprès du grand public et désigne depuis au mieux des collusions d’intérêt entre le politique et l’économique, au pire un néo-colonialisme cynique, alors que les interrelations entre la France et les pays africains sont en réalité extrêmement complexes.
La seconde raison pour laquelle c’est la continuité qui prime sur la rupture est le fait que l’on change constamment les acteurs mais que l’on réforme finalement rarement le fonctionnement des institutions. Ainsi, les changements ne sont jamais pérennes. L’idée de proposer Pascal Canfin au Développement, par exemple, était intéressante à plus d’un titre. Il ne pouvait être « accusé » d’africanisme et avait à cœur d’intégrer les questions africaines à des questions transversales, telles que le climat en particulier. Par ailleurs, sa position de député européen lui permettait d’intégrer les dynamiques françaises aux politiques européennes et de permettre ainsi à la France d’élargir son champ d’action.
Cependant, cette pratique s’est heurtée à deux structures institutionnelles très fortes. La première est le fait que, comme député Vert, il a toujours été considéré comme un « outsider » – au propre comme au figuré – au sein du ministère des Affaires étrangères (MAE). Ainsi, il s’est heurté à la structure institutionnelle des partis. D’autre part, cette position un peu marginale ne lui a pas donné la force nécessaire pour s’imposer comme un acteur-pivot dans les luttes institutionnelles des ministères, en particulier entre le MAE et Bercy, qui partagent – pas toujours de bonne grâce – des prérogatives sur l’Afrique.
La normalisation est-elle donc impossible ? D’abord, les changements évoqués ne sont pas anodins et sont les bienvenus. Il est cependant vrai que François Hollande a été rattrapé par les questions militaires, qui ont profondément modifié son rapport au continent, et créé des relations nouvelles avec ses partenaires africains (question développée dans notre prochain post à paraître prochainement).
Hélène Quénot-Suarez
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Aline LEBOEUF, Hélène QUENOT-SUAREZ
La politique africaine de la France sous François Hollande,
renouvellement et impensé stratégique
novembre 2014
15 décembre 2014 at 10:44
Merci Daniel pour vos commentaires approfondis et la mention de la note de notre collègue Mathieu Pellerin sur Madagascar (http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=8296).
Cette prise en compte critique de l’aspect historique me paraît effectivement essentielle. En intervenant sur le continent africain, la France répond finalement à des problèmes créés de longue date et qui, faute d’analyse et d’approche historique, n’ont pas été réglés. Nous avons rapidement évoqué cette « distorsion temporelle » dans notre étude mais espérons que nous aurons l’occasion d’en faire une analyse plus détaillée.
9 décembre 2014 at 6:57
Je fais écho à la dernière note Ifri consacrée à la politique africaine de la France sous la présidence Hollande qui n’est pas sans conséquence à Madagascar.
Un très bon article : http://www.irinnews.org/fr/report/95920/analyse-madagascar-terre-de-bandits-impitoyables ou en PJ, publié en juillet 2012 par l’IRIN (un service du Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies), qui demeure actuel à l’aune de la crise larvée qui prévaut à Madagascar depuis l’investiture du nouveau président et ce, après cinq années de crise inédite.
Si le cœur du problème est bien la question de la sécurité à Madagascar (la montée de l’insécurité étant liée à celle de l’incompétence ou de la corruption des forces armées et de sécurité), la réforme de la sécurité serait la solution alors que de tels projets ont jusqu’à présent échoué dans nombre de pays africains, doit nous conduire à en analyser les raisons et tenter de développer d’autres solutions.
En définitive, ce sont les populations elles-mêmes qui devraient être protégées en priorité, fût-ce contre leurs propres forces de sécurité…
Ce qui peut constituer un obstacle à un tel projet, c’est la responsabilité de la France dans cet échec, pour ne pas dire sa complicité latente du fait de son mutisme, en ayant privilégié en Afrique la philosophie du secret du bonheur : les trois petits singes qui se masquent la vue, se couvrent la bouche et enfin se bouchent les oreilles…
Quant aux développements possibles, il faudra sans doute les rechercher dans d’autres modèles : l’augmentation des armes risque de conduire à la création de milices (prolifération des armes légères), voire de gangs rivaux et de recherche de nouveaux marchés (trafics de pierres précieuses, de bois rares, voire mainmise sur des ports, des aéroports, etc.), des réquisitions en nature sur la population ou encore une plus grande criminalisation…
Les Dahalo sont-ils encore des Robins des bois malgaches ou les défenseurs des vertus d’une société traditionnelle ou la traduction d’une criminalité post-moderne ?
Je pense pour ma part que l’approche historique du Retex ne devra pas être négligée afin d’étudier comment de tels problèmes ont pu être réglés dans le passé./.
Daniel Joannes, directeur associé cabinet Babel Multimedia Bénin, co-fondateur de Action pour la bonne gouvernance (ABG)