Cette interview est la version longue d’un entretien réalisé par Tirthankar Chanda, journaliste à RFI, avec Victor Magnani, chargé de projets au Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri. L’article original est consultable sur le site de RFI

Victor Magnani suit l’Afrique australe à l’Ifri. C’est depuis Bulawayo, deuxième ville du Zimbabwe, qu’il répond aux questions de RFI sur le tournant que représentent les scrutins qui se tiennent le 30 juillet dans le pays de Robert Mugabe.

Pourquoi ces élections sont importantes ?

Elles sont importantes à plusieurs titres. Tout d’abord, elles sont historiques et inédites puis que le père de la nation, Robert Mugabe, écarté du pouvoir en novembre dernier, ne peut plus être candidat à la présidence, ce qui n’a jamais été le cas depuis l’indépendance en 1980. En même temps, l’opposant principal des dernières années de l’ère Mugabe, Morgan Tsvangirai, lui non plus n’est pas candidat car il est décédé il y a quelques mois. C’est donc une page nouvelle qui s’ouvre dans l’histoire de ce pays. Deuxièmement, ces élections sont importantes pour le président Emmerson Mnangagwa, qui est arrivé à la tête du pays après le renversement de Mugabe à la faveur d’un coup d’Etat et pas par le biais des élections. Il est encore un président intérimaire, qui a besoin de la légitimité électorale pour imposer son autorité. C’est absolument capital pour lui d’être légitime aux yeux de son pays et, sans doute encore plus, aux yeux de la communauté internationale et des investisseurs étrangers dont il besoin pour redresser le pays. Il est donc fondamental pour lui que ces élections se déroulent de manière libre et transparente, ce qui sera le signal de la normalisation en cours. C’est un moment de transition. Mes interlocuteurs zimbabwéens m’ont dit joliment que le Zimbabwe se trouve aujourd’hui dans une salle d’attente, avec à la fois espoir et crainte pour l’avenir de leur pays.

Justement, est-ce que la campagne qui s’est terminée a été libre ? L’élection sera-t-elle honnête et transparente ?

La première chose qui remonte des échanges que j’ai pu avoir avec les Zimbabwéens depuis que je suis arrivé ici pour observer les élections, est que la campagne a été plutôt libre comparée aux précédentes échéances, avec un respect avéré pour la liberté d’association et la liberté de parole des candidats. Parmi les autres signaux positifs, est à noter la présence cette année d’un contingent important d’observateurs internationaux pour surveiller les élections. Le président Mnangagwa s’était engagé auprès de ses interlocuteurs étrangers à accueillir des observateurs qui veillent au bon déroulement des scrutins. Il a tenu parole. Les missions envoyées à cet effet par l’Union européenne, l’Union africaine et la SADC ont quadrillé le pays durant la campagne et feront de même pendant et après le scrutin. Le gouvernement zimbabwéen, en quête de légitimité, démocratique compte sur les observateurs pour lui donner quitus pour la gestion apaisée de ces scrutins.

Cette élection est donc un test pour le gouvernement du Zimbabwe ?

Quand Emmerson Mnangagwa a pris le pouvoir, il a pu bénéficier d’une certaine bienveillance car personne n’a dénoncé le coup d’Etat. Au contraire, la communauté internationale a cautionné le coup de force des militaires zimbabwéens car il mettait fin au régime de Robert Mugabe qui posait des problèmes en termes de gouvernance, de respect des droits de l’homme, de fermeture du pays aux investisseurs étrangers… Les pays étrangers tout comme les Nations unies ont laissé ce coup d’Etat se développer d’autant plus qu’il n’y a pas eu d’effusion de sang et que le putsch a été mené avec pour but affiché de restaurer l’ordre constitutionnel. Huit mois après, la question qui se pose est de savoir si le président Mnangagwa est capable de démocratiser le pays et de créer les conditions requises pour que les investisseurs étrangers reviennent. De ce point de vue, cette élection de juillet 2018 est un test important pour lui car c’est en grande partie sur sa capacité d’assurer un scrutin libre et transparent que l’on jugera la bonne foi de ce gouvernement. Les rapports positifs des observateurs permettraient au gouvernement qu’il soit issu du pouvoir en place ou de l’opposition de prendre langue avec les bailleurs de fonds internationaux et les investisseurs étrangers.

On a assisté ces derniers jours à une réduction d’écarts en intentions de vote entre les deux favoris du scrutin présidentiel que sont Emmerson Mnangagwa du parti au pouvoir et Nelson Chamisa, successeur de Morgan Tsvangirai à la tête du parti de l’opposition, Mouvement pour la démocratie. L’opposition peut-elle créer la surprise ?

L’écart s’est en effet resserré entre les deux rivaux selon le récent sondage du groupe Afrobarometer, mais il reste encore beaucoup d’indécis qui vont faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Pour l’observateur que je suis, il a été absolument fascinant de voir combien les militants de l’opposition croient en la possibilité pour leur champion de remporter cette présidentielle et d’ouvrir une nouvelle ère. Mon regard est peut-être un peu biaisé car je suis passé essentiellement par les grandes villes comme Harare ou Bulawayo où l’électorat est favorable à l’opposition. Les régions rurales ont toujours eu la réputation d’être proches du parti au pouvoir. Force est toutefois de constater qu’il y a une dynamique en faveur de l’opposition. Tout de suite après le coup d’Etat de novembre dernier, les experts avaient noté un vent favorable à la Zanu-PF, débarrassée de Robert Mugabe. Huit mois après, la dynamique semble s’être inversée en faveur de l’opposition au point que celle-ci menace la domination historique de la Zanu-PF sur le pays.

Comment expliquez-vous ce renversement de tendance ?

Pour moi, le mérite en revient au chef de l’opposition, Nelson Chamisa, qui est une révélation de ce scrutin. Il est devenu une personnalité extrêmement importante de la vie politique du pays, il a su fédérer autour de lui d’autres forces de l’opposition et la jeunesse. Lui-même est jeune, il est âgé de 40 ans, ce qui attire une nouvelle génération d’électeurs qui ont l’impression d’avoir été laissés pour compte pendant trop longtemps et qui estiment qu’il est temps aujourd’hui pour eux de prendre en main le destin de leur pays. Il y a toujours beaucoup de monde dans les meetings de Nelson Chamisa, surtout des jeunes. Cette jeunesse est impatiente de prendre en main l’avenir du pays. Chamisa est leur homme, il a énormément gagné en maturité ces derniers mois. Il n’hésite pas à affirmer qu’il se situe dans la filiation de ceux qui ont libéré le pays, mais que la vieille garde au pouvoir à Harare a le devoir de passer la main à la jeunesse. Les récents sondages traduisent cette vague de fond, sans qu’on puisse dire aujourd’hui lequel des deux rivaux va remporter la présidentielle. Il est possible que les autorités soient amenées à organiser un second tour pour départager les impétrants.

Qu’est-ce qui distingue la Zanu-PF Mugabe et Mnangagwa du MDC de Chamisa ?

Du point de vue de la programmation et de la doctrine politique, il y a peu de choses qui les différencient. Les ressemblances sont liées à mon sens à la situation catastrophique dans laquelle se trouve l’économie du Zimbabwe. L’urgence absolue pour le parti qui arrivera au pouvoir demain, c’est de sortir le pays de l’ornière, de favoriser l’industrie, de relancer l’agriculture. Les priorités sont forcément similaires. Ce qui différencie la Zanu-PF de l’opposition, c’est la pratique politique : d’un côté vous avez un parti qui se confond quasiment avec l’Etat car il est au pouvoir depuis l’indépendance, de l’autre le MDC qui n’a jamais exercé le pouvoir si ce n’est après le scrutin de 2008 lorsqu’il fit partie d’un gouvernement d’union nationale.