Au 22 avril, deux pays africains membres de la Communauté de développement d’Afrique australe (CDAA ou SADC selon le sigle anglais) n’avaient pas encore enregistré de cas de COVID-19[1] : le Lesotho et les Comores. Cette situation pose la question de la capacité et de la réalité des tests ainsi que de l’accès aux résultats. En mars, leurs voisins ont, les uns après les autres, annoncé les premiers cas et souvent les premiers décès. Le Botswana fut l’un des derniers pays à annoncer ses premiers cas le 30 mars puis un décès le 31 mars. L’Afrique du Sud est pour le moment le pays le plus touché du continent avec 3635 cas diagnostiqués et 65 décès. 

Face à la hausse des cas, le président de la République sud-africaine (RSA), Cyril Ramaphosa imposait un confinement national pour 3 semaines à compter du 26 mars, puis le prolongeait jusqu’à la fin du mois d’avril. La plupart des voisins ont décidé d’en faire de même. Le Botswana a ainsi fermé ses frontières et instauré un état d’urgence avec confinement. 

Au regard de cette pandémie et des stratégies mises en place par les dirigeants des pays de la région, quels sont les impacts sanitaires et sociaux et quelles sont les conséquences en termes de gouvernance politique, sécuritaire et économique ?

Des systèmes de santé fragiles et menacés

La mortalité des personnes âgées étant plus élevée parmi les victimes du COVID-19, la jeunesse de la population en Afrique australe semble constituer un avantage. En effet, l’âge médian est de 27.6 ans en RSA, plus « vieux » pays de la SADC continentale (seuls les Seychelles et l’Ile Maurice présentent un âge médian de leur population supérieur).

Toutefois, la qualité des services de santé et de réanimation joue un rôle important dans la lutte contre cette maladie. Au moins six pays de la SADC ne disposent d’aucun lit en réanimation[2]. La RSA accueille souvent des malades issus des pays de la région mais une possible saturation limitera sa capacité d’accueil, d’autant plus que les possibilités de transferts sont contraintes par les restrictions actuelles. Le Botswana compte environ 150 lits de réanimation mais selon son président, 2000 lits pourraient être nécessaires[3]. Les règles strictes de confinement qui affectent les transports collectifs peuvent empêcher certains soignants de se rendre à leur lieu de travail. Au Botswana, l’arrêt des « combis », minibus servant de transport, empêche ainsi certains soignants de prendre leurs postes. Dans les hôpitaux, l’exposition des soignants qui n’ont pas toujours le matériel de protection adéquat constitue un risque majeur de déstabilisation des services de santé. Au Zimbabwe, les soignants se sont mis en grève dénonçant le manque de matériel. Par ailleurs, plusieurs millions d’habitants[4]de la zone sont porteurs du VIH et les cas de tuberculose sont nombreux[5], ce qui accroit leur vulnérabilité face à un nouveau virus. En Afrique du Sud, l’obésité[6] et le diabète[7]sont également très présents, or les personnes souffrant de ces maladies auraient plus de risques de développer une forme grave du Covid-19.

Des sociétés impactées

L’impact social de cette crise se fait déjà ressentir dans la zone pour les nombreux travailleurs aux contrats précaires et de ce fait, rarement bénéficiaires de filets sociaux : gardiens, personnels de ménages, etc. Les travailleurs informels dont les maigres revenus permettent pour certains de ne vivre qu’au jour le jour pour se nourrir sont également touchés de plein fouet par les mesures de restrictions. Celles-ci font craindre la superposition de préoccupations humanitaires à la crise sanitaire. Si les gouvernements mobilisent des ressources pour répondre à certaines urgences, elles ne pourront être suffisantes si la crise se prolonge dans la durée. L’aide alimentaire nécessite en effet d’immenses moyens logistiques pour couvrir de vastes zones où l’État n’est parfois que partiellement présent, c’est le cas en RDC ou à Madagascar. Cette crise vient s’ajouter à l’insécurité alimentaire que connaissait la région début 2020[8]menaçant près de 60 millions d’habitants de la zone en raison de problèmes climatiques, de gouvernance ou de sécurité. En effet, des pays comme le Botswana et la Namibie dépendent de l’approvisionnement de leurs supermarchés par l’agro-industrie sud-africaine. Le vice-président botswanais, dont le pays disposerait de 3 semaines de stock[9], a affirmé que les transports de nourriture continueraient à circuler[10]. Bien que son influence diminue, l’Afrique du Sud demeure la première puissance régionale, ses capacités agro-industrielles et logistiques devraient permettre de limiter la pénurie alimentaire qui menace. Cela n’a pas empêché la flambée des prix de produits de premières nécessités dans la plupart des pays de la zone, affectant encore davantage les populations les plus vulnérables[11]. Ainsi, le 21 avril, le Président Ramaphosa annonçait la mise en place d’un fonds de solidarité pour ceux qui sont hors du système de redistribution sociale habituelle[12]pour limiter le désastre social qui se profile. 

Les États de la SADC connaissent comme ailleurs des difficultés de mise en place des règles de confinement notamment dans les zones urbaines et péri-urbaines densément peuplées. La promiscuité et l’accès limité à l’eau sont sources d’inquiétudes pour les autorités et les experts sanitaires. Le cas des townships sud-africains offre un casse-tête que le gouvernement semble avoir décidé de gérer par le recours à la police et à l’armée[13], ce qui pose également des questions en termes de droits humains. Avec les états d’urgence et les confinements obligatoires, la production d’informations va se complexifier, rendant difficile la possibilité de rendre compte de certains abus.

Réactivité et gouvernance

La période actuelle constitue un moment de vérité pour tous les régimes politiques de la région dont les capacités de réaction face à la crise et le contrôle réel de leur territoire sont mis en exergue. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa est salué par de nombreux experts et même par des membres de l’opposition pour les décisions rapides et délicates qu’il a su prendre ainsi que le leadership dont il fait preuve pour susciter une adhésion nationale face à l’urgence sanitaire. Il est pour l’instant conforté dans cette période de crise alors que son autorité et son bilan à la tête du pays étaient contestés y compris au sein de son propre camp. En plus de devoir gérer l’urgence sanitaire, certains pays sont confrontés à des enjeux sécuritaires. C’est le cas du Mozambique où les attaques d’insurgés se multiplient dans la province riche en gaz naturelle de Cabo Delgado. En RDC, les atermoiements de la décision du confinement prise par le président Tshisekedi ont créé de la confusion[14]et mis en lumière sa faible autorité dans un pays encore largement sous l’influence de son prédécesseur, Joseph Kabila. Autre signe de la faiblesse du nouveau Président, son directeur de cabinet, Vital Kamerhe, a été arrêté le 8 avril[15]dans le cadre d’une campagne anti-corruption. Par ailleurs, ce pays doit toujours faire face à des problèmes récurrents de sécurité intérieure aux Kasaï et à l’Est de son territoire sans compter que la lutte contre l’épidémie d’Ebola n’est toujours pas terminée. Si les dirigeants de la SADC communiquent par vidéo-conférence désormais, il paraît impossible de voir une quelconque mission de médiation régionale mise en œuvre à court terme bien qu’officiellement, ils continuent à travailler sur les situations mozambicaine et congolaise. Certains décideurs vont sans doute tenter d’asseoir une autorité fortement remise en cause. Le premier ministre du Lesotho, Tom Thabane, inculpé en février 2020 pour le meurtre de son épouse en 2017, a décidé fin mars un confinement de trois semaines malgré l’absence officielle du COVID-19 dans son pays et de suspendre le parlement début avril[16]. Dans ce contexte tumultueux, il a demandé à l’armée de se déployer dans la capitale le 19 avril[17]. Ce déploiement et le risque d’escalade a provoqué l’envoi d’une mission sud-africaine le jour-même et le retour des militaires dans les casernes. Au Malawi, où les présidentielles de 2019 ont été annulées en janvier 2020 par la Cour constitutionnelle pour fraude, le parti au pouvoir réfléchit à repousser les élections prévues en juillet. La défiance vis-à-vis du gouvernement est élevée et le risque social également si bien que des manifestations contre un confinement sans aide alimentaire s’élèvent[18]. D’autres pays font face à des tensions sociales importantes comme le Zimbabwe qui traverse une grave crise économique et sociale. Au Botswana, une bataille parlementaire a eu lieu et a débouché sur un prolongement de l’état d’urgence pour six mois, pendant lequel le rôle de contrôle du Parlement sera limité[19]et une quarantaine pour les députés présents après le test positif d’un personnel soignant présent au Parlement pendant les débats.

Quant à la Tanzanie, le Président John Magufuli, à contre-courant, a opté pour le refus du confinement au nom de la sauvegarde de l’économie[20]. Concernant les acteurs internationaux, la Chine étend son influence en proposant son expertise, profitant du ralentissement de la première vague sur son territoire au moment où l’Europe et les États-Unis deviennent des épicentres.  Les initiatives européennes ont tardé mais se mettent en place. Emmanuel Macron s’est entretenu le 3 avril avec dix homologues africains dont le Zimbabwéen Emmerson Mnangagwa et le Sud-africain Cyril Ramaphosa avec pour objet : la réponse internationale à cette crise sanitaire et son corolaire économique. La présidente de la commission européenne vient d’annoncer un plan d’aide de 15 milliards d’euros en ce sens[21].

La crise économique est déjà là

La plupart des économies de la SADC sont basées sur les exportations de matières premières et sont donc très affectées par le ralentissement de l’activité économique mondiale. Le PIB botswanais devrait reculer de 4 % cette année, impacté par la baisse de ventes de diamants et l’arrêt du tourisme. La RSA était déjà entrée en récession début mars et l’Angola, deuxième économie régionale, était considérée comme très fragile à cause de la baisse des cours du pétrole. Le FMI vient de lancer un appel[22]urgent au soutien financier pour le Zimbabwe. Il est fort probable que ces appels se multiplient dans les semaines à venir car la crise actuelle frappe des économies qui étaient déjà fragilisées. 

La région la plus stable d’Afrique fait face à des défis dont l’ampleur commence à se révéler négativement dans les domaines sanitaires, économiques et sociaux. La situation actuelle est unique et implique de trouver comment garantir la survie des plus pauvres, assurer le confinement, remporter la lutte sanitaire et amortir la contraction des économies. Une prolongation de la période de confinement combinée à certains abus de la part des forces de sécurité et à l’aggravation de la situation économique et sociale des personnes les plus précaires pourraient conduire à des crispations très fortes ; voire à des protestations sociales d’ampleur notamment dans les pays déjà très polarisés (le Zimbabwe, le Malawi, le Lesotho), ceux où les mobilisations sociales sont des formes courantes d’expression politique (l’Afrique du Sud) et ceux fortement impactés par la chute des cours des matières premières (l’Angola, le Botswana, la RDC, le Mozambique ?). Les autorités devront ainsi procéder à des arbitrages entre les enjeux sanitaires, sociaux et économiques et s’assurer de l’acceptation (ou soumission) de leur population.   

Victor Magnani & Thibaud Kurtz


[1]. Coronavirus disease (COVID-2019) situation reports, Organisation mondiale de la santé (OMS), www.who.int

[2]. Angola, Lesotho, Malawi, Mozambique, Seychelles et Zimbabwe. D. Finnan, « Lack of Covid-19 treatment and critical care could be catastrophic for Africa », RFI, 3 avril 2020, www.rfi.fr.

[3]. P. Lebanna, « Botswana : Masisi to Seek 6-Month State of Emergency », Botswana Daily News, 6 avril 2020, https://allafrica.com

[4]. Près de 7 millions de sud-africains et 360 000 botswanais vivent avec le VIH, estimations de l’OMS en 2016 pour l’Afrique du Sud et le Botswana.

[5]. Il y a plus de 300 cas de tuberculose par an pour 100 000 habitants au Botswana et en Angola, plus de 700 en RSA contre 8 à 9 en France. Global Health Observatory country views, OMS, chiffres de 2016.

[6]. J. Ralston, « Obesity crisis threatens South Africa’s health system », Daily Maverick, 19 septembre 2019

[7]. S. Makgabutlane, « #WorldDiabetesDay: About 3.5m South African suffer from diabetes », iol.co.za, 13 novembre 2018

[8]. Voir la déclaration de janvier 2020 du Programme alimentaire mondial (PAM) concernant 45 millions de personnes dans 8 pays : Zimbabwe, Zambie, Mozambique, Madagascar, Namibie, Lesotho, Eswatini et Malawi, auxquels il faut ajouter 15.6 millions en RDC fin 2019 selon le PAM.

[9]. Discussion de l’auteur avec un responsable politique botswanais en mars 2020.

[10]. « Ramaphosa assures on goods, services to Botswana », Mmegi, 24 mars 2020.

[11]. T. Head, « Checkers and Pick n Pay accused of hiking prices during lockdown », The South African, 8 avril 2020 ; N. Chingono, « ‘We will starve’: Zimbabwe’s poor full of misgiving over Covid-19 lockdown », The Guardian, 3 avril 2020, www.theguardian.com

[12] « What you need to know about SA’s R500bn Covid-19 support package », City Press, 21 avril 2020, www.city-press.news24.com.

[13]. « Confinement: la police et l’armée sud-africaines mises en cause dans des violences », RFI, 1er avril 2020, www.rfi.fr.

[14]. « RDC: Le confinement de la Gombe tourne au chaos », Politico.cd, 10 avril 2020, www.politico.cd; « RDC: heurts avec la secte Bundu dia Kongo sous fond de lutte contre le coronavirus », RFI, 31 mars 2020, www.rfi.fr

[15]« En RDC, Vital Kamerhe arrêté dans le cadre d’une vaste enquête anti-corruption », Le Monde, 9 avril, www.lemonde.fr.

[16]. N. Ngatane, « Lesotho PM Thabane’s decision to suspend Parliament over lockdown challenged », Eye Witness News, 8 avril 2020, ewn.co.za

[17] « Lesotho deploys military to combat security threats, COVID-19 lockdown », Africa News,  20 avril, www.africanews.com.

[18] « Malawian protests Covid-19 Lockdown », Malawi 24, 16 avril 2020www.malawi24.com

[19]« Covid 19 : Botswana Parliament endorses 6-month state of emergency », City Press,9 avril 2020, www.city-press.news24.com.

[20] « La Tanzanie s’en remet à Dieu pour se protéger du coronavirus et refuse de sacrifier son économie », Le Monde, 21 avril 2020,www.lemonde.fr

[21]. « Coronavirus : l’UE garantit 15 milliards d’euros en faveur des pays les plus vulnérables », Le Monde, 7 avril 2020, www.lemonde.fr.

[22]. M. Marawanyika, « IMF Says Zimbabwe Needs Aid Urgently to Ease Humanitarian Crisis », Bloomberg, 3 avril 2020, www.bloomberg.com.