Source : jeuneafrique.com / AFP
Source : jeuneafrique.com / AFP

La contrefaçon est un phénomène bien connu et présent à large échelle : elle représenterait 5 à 7 % du commerce mondial. Les pertes économiques qu’elle implique pour les entreprises et les États sont immenses. Mais la dangerosité de la contrefaçon est plus grave encore dans le cas des faux médicaments. Qu’ils soient contrefaits, falsifiés, ou sous-standards, les « faux médicaments » représenteraient 10 % des produits pharmaceutiques en circulation dans le monde. Leur impact sanitaire est considérable : inefficaces voire dangereux, ils seraient directement responsables de la mort d’au moins un million de personnes dans le monde chaque année et peuvent dans certains cas produire des résistances aux véritables traitements. L’Afrique, où les capacités de régulation et de contrôle peuvent être plus faibles qu’ailleurs, est particulièrement touchée par ce phénomène. D’où proviennent ces médicaments frauduleux ? Comment parviennent-ils à inonder les marchés africains, formels comme informels, représentant parfois, comme au Nigeria il y a encore dix ans, jusqu’à 70 % de l’offre médicamenteuse ? Les réseaux mafieux sont-ils impliqués dans ce trafic ?

C’est à ces questions que tente de répondre notre Note de l’Ifri parue ce mois-ci, prenant comme étude de cas quatre pays ouest-africains : le Nigeria, le Ghana, le Togo et le Bénin.

Produire et exporter : le rôle des pays asiatiques et des intermédiaires

Le trafic de faux médicaments est un trafic mondialisé : l’Organisation mondiale des douanes recensait en 2011 106 pays producteurs, parmi lesquels le Brésil, l’Argentine, l’Indonésie, la Russie, l’Ukraine, l’Égypte ou les Philippines, et 146 pays destinataires. Cependant, les recherches récentes démontrent que l’Asie, et en particulier la Chine et l’Inde, sont les principaux fabricants de contrefaçons médicamenteuses (de 50 à 70 % selon les estimations). Le secteur pharmaceutique est un véritable mastodonte dans ces économies qui ont profité de la libéralisation de la production de génériques. Le développement d’une production parallèle et illégale de faux médicaments fut facilité par un certain laxisme des autorités et par la corruption à toutes les échelles. La qualité des médicaments produits varie grandement suivant les installations, qui vont de la petite unité artisanale aux grandes usines pharmaceutiques, aux équipements détournés par du personnel peu scrupuleux.

Une partie de cette production de faux médicaments est distribuée sur les marchés nationaux. Cependant, l’exportation est tentante, tant les profits potentiels sont importants. Le volume du marché mondial de la contrefaçon de médicaments est ainsi estimé rapporter entre 45 à 75 milliards de dollars par an, des chiffres en croissance constante et rapide. Investir dans les faux médicaments peut être de 10 à 25 fois plus rentable que le trafic d’héroïne, de cocaïne ou de cigarettes. Le transport des faux médicaments asiatiques vers l’Afrique est réalisé par des compagnies d’import-export et de fret, parfois locales, parfois dirigées par des Africains expatriés dans les grands ports. On trouve ainsi une très forte communauté nigériane dans le port de Guangzhou en Chine. La route est longue vers l’Afrique, les produits sont plusieurs fois transbordés, reconditionnés, leurs papiers sont falsifiés ; le but des trafiquants étant de brouiller les pistes et empêcher la traçabilité de leur cargaison illégale. On estime qu’un médicament pénétrant le marché parallèle peut être soumis à 20 voire 30 transactions intermédiaires avant d’atteindre sa destination finale. Dans le cas de la route vers l’Afrique, les pays du Moyen-Orient sont les plus cités comme points d’étape, et notamment les Émirats arabes unis via Dubaï, la Jordanie, la Turquie, l’Irak, la Syrie avant la crise, le Liban, l’Égypte et les territoires palestiniens. A l’inverse, une partie de la production asiatique fait route directement vers les côtes africaines sans transit.

Le trafic en terres africaines : débarquement et nouveaux transits

Le marché africain du médicament, s’il pèse aujourd’hui moins de 2 % du marché mondial de ce secteur, est en pleine expansion. Tiré par la croissance démographique et la croissance du pouvoir d’achat, il devrait atteindre 5 milliards de dollars en 2018, contre 2,2 milliards en 2011. La valeur totale des importations de produits pharmaceutiques en Afrique de l’Ouest était de 1,5 milliards en 2010.

Les grands ports de Lagos, Cotonou, Lomé, Accra-Tema et Conakry sont les entrées privilégiées des médicaments contrefaits en Afrique de l’Ouest. Le passage des douanes africaines donne lieu à de nouveaux efforts de dissimulation, falsification et corruption, sans mentionner le manque de formation des douaniers et la faiblesse des ressources dont ils disposent pour contrer un trafic de cette ampleur. Il arrive cependant que des saisies spectaculaires soient réalisées, avec l’appui d’organismes internationaux. Ainsi, au début du mois d’avril 2013, l’Opération Biyela, menée par l’Organisation mondiale des douanes (OMD) avec le soutien de l’Institut de Recherche Anti-Contrefaçon de Médicaments (IRACM), a permis la saisie de 550 millions de doses de médicaments contrefaits dans 23 pays africains, pour une valeur de 275 millions de dollars. L’opération au Togo fut particulièrement fructueuse.

Cependant, l’immense majorité des produits passe les douanes sans encombre et est distribuée par voie terrestre dans le reste du pays et vers les pays voisins, notamment les pays enclavés (Mali, Burkina Faso et Niger). La circulation régionale est particulièrement fluide, les contrôles internes demeurant insignifiants. Les différences de prix des médicaments entre pays sont exploitées par les trafiquants ; elles résultent de systèmes d’importation différents. Ainsi, les systèmes anglophones (Nigeria, Ghana), plus libéraux, mettent en concurrence les importateurs/distributeurs qui se tournent en majorité vers les producteurs asiatiques afin de réduire leurs coûts d’achat et leurs prix de revente, et rester compétitifs. Les prix des médicaments au Bénin et au Togo sont fixés par les gouvernements. Un écart de prix existe alors de part et d’autre des frontières, créant des effets d’opportunité incitant au trafic régional de médicaments (véritables ou falsifiés).

tableau faux medicamentsLes faux médicaments abondent bien évidemment sur les marchés informels : les contrôles et régulations sont pratiquement inexistants. Les populations les plus démunies sont les plus touchées, notamment attirées par les faibles prix par rapport aux médicaments vendus en pharmacie officielles et par l’accessibilité des marchands d’appoint vendant souvent les produits à l’unité. Cependant, une partie de ces produits fallacieux parvient également à pénétrer le circuit légal, quel que soit le système ou le secteur (public ou privé).

Les trafiquants africains de faux médicaments sont-ils des mafieux ?

Si ces trafiquants sont bien regroupés en « organisations criminelles », au sens de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, il est délicat d’affirmer l’implication de véritables mafias. On a ainsi peu vu de modèles à la hiérarchie forte et contrôlant l’ensemble de la chaîne de production et de distribution. On semble avoir d’avantage affaire à des alliances circonstancielles d’acteurs contrôlant des portions de la chaîne de distribution et exploitant les failles de la chaîne officielle pour mieux la pénétrer. Il est plus juste de parler de « réseaux criminels », des réseaux principaux collaborant avec des réseaux périphériques plus ou moins autonomes, l’ensemble pouvant aller de quelques personnes à une centaine d’individus. Leurs membres sont d’une grande variété de profils de « criminels à cols blancs », et on voit collaborer l’industriel asiatique, le négociant international, le douanier corrompu, le grossiste pharmaceutique, le distributeur à petite échelle, parfois même des experts financiers, juridiques ou des autorités de haut niveau.

La violence ne joue pas dans ces réseaux le rôle fédérateur, dissuasif et coercitif qu’elle joue dans les réseaux mafieux. Elle n’est cependant pas totalement absente de ce trafic. Ainsi Dora Akunyili, Directrice de la NAFDAC (Agence nigériane en charge des médicaments) depuis 2001, a-t-elle essuyé de nombreuses attaques physiques et menaces voulant entraver son action contre les faux médicaments au Nigeria. Ce pays s’est en effet illustré depuis une dizaine d’années par le spectaculaire recul de la présence de médicaments contrefaits sur ses marchés (elle serait tombée à 16 % en 2007), du fait de la multiplication de mesures de répression, restrictions aux importations, et contrôles en tous genres. Si le modèle nigérian n’est ni absolu ni efficace à 100 %, il ouvre la voie pour ses voisins dans la lutte contre cette fraude si dangereuse pour les populations. Mais seule une coordination régionale, pilotée par exemple par la CEDEAO, peut venir à bout de ce fléau qui menace tous les progrès effectués dans le domaine de la santé en Afrique.

Camille Niaufre

Consultez l’intégralité de la Note de l’Ifri
Le trafic de faux médicaments en Afrique de l’Ouest :
filières d’approvisionnement et réseaux de distribution
(Nigeria, Bénin, Togo, Ghana)