Quel bilan peut-on tirer des 17 ans de présence onusienne en République démocratique du Congo (RDC) ? Quels sont les résultats de la plus importante et de la plus coûteuse mission de maintien de la paix, la MONUSCO ? Alors que les violences des groupes armés semblent impossibles à stopper et que la démocratie est en recul, une tentative de bilan s’impose.

De MONUC à MONUSCO : la construction de la plus grande mission de maintien de la paix

 C’est le 30 novembre 1999 avec la résolution 1279 que les Nations unies ont décidé de déployer une mission en RDC. Initialement composée d’environ 5 000 hommes et chargée d’observer le cessez-le-feu, la Mission de l’Organisation des Nations Unies au Congo (MONUC) a évolué pour devenir 17 ans plus tard la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation de la République démocratique du Congo (MONUSCO), c’est-à-dire la plus grande (22 000 hommes) et la plus coûteuse (1,4 milliard de budget) mission de maintien de la paix dans le monde.  Cette mission a connu trois périodes :

  • 1999-2007 : en contenant les tendances centrifuges du gouvernement de transition, la MONUC a permis d’organiser et de sécuriser le référendum constitutionnel et les élections qui ont donné naissance à la IIIe République.
  • 2007-2012 : alors que les Nations unies étaient censées appuyer la mise en place de nouvelles institutions et la réforme du secteur de la sécurité, la question du Kivu s’est imposée progressivement et a fini par dominer l’agenda des Nations unies en RDC. Incapable de s’imposer face aux groupes armés de l’Est, la MONUSCO fait face à deux crises à Goma (2008 et 2012) dont la dernière est une humiliation publique pour l’ONU. En 2012, un groupe armé, le M23, s’empare de la capitale de l’Est de la RDC prétendument défendue par les casques bleus et l’armée congolaise. Tandis que les militaires congolais s’enfuient en commettant des exactions contre les civils, les casques bleus regardent les rebelles prendre la ville.
  • 2012-2015 : les Nations unies tentent de reprendre l’initiative et la MONUSCO a pour priorité de « neutraliser les groupes armés ». Son centre de gravité est transféré de Kinshasa à Goma, ses moyens militaires sont renforcés (création d’une brigade d’intervention et déploiement de drones). L’armée congolaise et la MONUSCO repoussent le M23 au-delà des frontières de la RDC à la fin de l’année 2013. Mais depuis lors, aucun autre groupe armé n’a été neutralisé.

La seconde crise de Goma en 2012, déclenchée par la prise de la ville par le M23, souligne l’inefficacité militaire manifeste de la MONUSCO. Elle aboutit en outre à une focalisation complète de la mission sur l’Est de la RDC. Avec la création de la brigade d’intervention, les Nations unies essayent de refaire partie de la solution. Toutefois, la rupture entre le gouvernement congolais et la mission onusienne est consommée et la MONUSCO est de nouveau acculée à la passivité par un gouvernement hôte qui ne cesse de mettre en avant sa souveraineté.

Un enlisement exemplaire

Au fil de sa (trop) longue histoire, la MONUSCO s’est enlisée : n’ayant pas réussi à changer la donne ni sur le terrain militaire (les groupes armés dans l’Est congolais) ni sur le terrain politique (la consolidation autoritaire du pouvoir), la MONUSCO est aujourd’hui une mission sans direction qui a perdu tout capital politique et militaire.

Au cœur de son manque de crédibilité réside son incapacité à protéger les populations des groupes armés qui sévissent à l’Est, ce qui est sa mission première selon le Conseil de sécurité. Une sous-application du mandat sous chapitre VII, qui autorise l’usage de la force en cas de légitime défense et pour protéger les civils, explique la série de tueries commises impunément par les groupes armés dans l’Est de la RDC. La poursuite de ces tueries (une autre a eu lieu la semaine dernière http://af.reuters.com/article/drcNews/idAFL5N1817FW) a discrédité les casques bleus aux yeux de la population congolaise et les tentatives de réorganisation interne n’ont pas amélioré la réactivité des casques bleus qui n’ont jamais arrêté les auteurs de ces massacres.

Ce discrédit populaire est aussi un discrédit politique. D’une part, son inefficacité militaire a abouti à deux crises de Goma en 2008 et 2012 qui ont mis le gouvernement congolais en mauvaise posture ; d’autre part, la MONUSCO s’est compromise en 2011 en fermant les yeux sur une élection frauduleuse dont elle était le principal organisateur logistique. Ses arguties sur la différence entre appui technique et appui politique n’ont alors convaincu personne. Du point de vue du gouvernement, la MONUSCO ne fait pas ce qu’elle devrait faire et fait ce qu’elle ne devrait pas faire – comme lui imposer des conditionnalités pour appuyer les opérations de l’armée congolaise dans l’Est. Du point de vue de l’opposition, la MONUSCO cautionne silencieusement la dérive autoritaire du régime.

La tentative de sursaut provoquée par la crise du M23 commence bien mais finit mal. Résultat de l’alignement des intérêts des Nations unies, du gouvernement congolais et de certains acteurs africains (la Tanzanie et l’Afrique du Sud), la posture militaire offensive se révèle payante et le M23 est défait. A partir de 2013, l’ONU se réinvestit sur le terrain politique avec l’accord d’Addis Abeba. Mais ce réinvestissement politique est mal vu par le président Kabila qui apprécie peu les critiques du représentant du Secrétaire Général (SRSG) de l’époque – Martin Köbler – relatives aux atteintes à la liberté d’expression et aux arrestations arbitraires. Par ailleurs, l’alignement des intérêts internationaux et régionaux contre le M23 n’était que circonstanciel : il se défait dès le M23 vaincu, renvoyant la MONUSCO à sa léthargie militaire.

D’évidence, le mandat de la mission se heurte à plusieurs obstacles : le refus des pays contributeurs de troupes d’appliquer le mandat sous chapitre VII, le souverainisme intransigeant de Kabila et la réticence à une coordination effective des acteurs internationaux en général. Toutes ces contradictions semblent dépasser le Conseil de sécurité qui ne réagit qu’au coup par coup, lors des crises et se révèle incapable de tenir une ligne politique claire et ferme dans la durée.

Après 17 ans de présence, y-a-t-il encore un avenir pour la MONUSCO ?

17 ans, 22 000 hommes et plus de 10 milliards de dollars pour un bilan sécuritaire et politique négatif : c’est l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui la mission des Nations unies en RDC. Les tueries contre les civils se poursuivent au Kivu et la volonté de Kabila de rester au pouvoir après son second mandat, chaque jour plus criante, fait craindre une prochaine crise politique. La MONUSCO risque de se retrouver dans une situation extrêmement délicate en cette année d’échéance électorale. Celle-ci peut déboucher soit sur une confrontation violente que la MONUSCO sera incapable d’enrayer, soit sur une répression préventive à laquelle elle assistera, impuissante. En effet, malgré les pressions du gouvernement congolais, le Conseil de sécurité a décidé de maintenir les 22 000 casques bleus en RDC mais les laisse au Kivu, loin de l’épicentre de la crise à venir, au lieu de les redéployer à Kinshasa et Lubumbashi.

Il y a deux leçons majeures à tirer de ces 17 ans de présence onusienne en RDC. La première est que le succès d’une mission de maintien de la paix tient à la concordance des agendas politiques du Conseil de sécurité, du gouvernement hôte et des acteurs régionaux. Lorsque ces intérêts convergent, le progrès est possible (époque de la transition, neutralisation du M23) ; lorsqu’ils divergent, rien n’est possible. La seconde leçon est que l’interprétation a minima des mandats sous  chapitre VII par les pays contributeurs de troupes discrédite le maintien de la paix aux yeux de ceux qui sont censés en être les bénéficiaires : les populations civiles. En RDC comme en Centrafrique, au Sud-Soudan ou au Darfour, l’ONU n’est plus synonyme de protection des civils.

Synthèse de la note de Thierry Vircoulon et Marc-André Lagrange, réalisée par Sofia Meister.

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