Réalisation Benjamin Augé, juin 2012
Réalisation Benjamin Augé, juin 2012

184 trillions. C’est le volume faramineux de pieds cubes de gaz (soit plus de 5 000 milliards de mètres cubes) qui ont été découverts au nord du Mozambique, qui n’en disposait auparavant que cinq tout au plus. Ces réserves, équivalentes à celles du Nigeria, devraient propulser ce pays d’Afrique de l’Est au rang des principaux exportateurs de gaz liquéfié au monde, aux côtés du Qatar et de l’Australie. Le Mozambique pourrait ainsi à terme subvenir à lui seul à l’ensemble des besoins actuels combinés de l’Allemagne, la France, l’Italie et la Grande Bretagne pendant douze ans.

Dans sa nouvelle Note de l’Ifri, Benjamin Augé, chercheur associé des programmes Afrique subsaharienne et Énergie, et rédacteur en chef d’Africa Energy Intelligence, revient sur les implications de cette nouvelle manne énergétique et sur les nombreux obstacles que le pays doit franchir pour en tirer profit de manière durable, équitable, et positive pour son propre développement.

L’exploitation de ces gigantesques réserves va en effet entraîner, outre une modification importante de l’équilibre des forces sur le marché mondial du gaz, un bouleversement profond du pays lui-même. En une dizaine d’années, le Mozambique devrait ainsi voir son PNB quadrupler. La gestion de ce nouveau secteur économique va s’avérer cruciale pour l’avenir du pays. Le Mozambique est ainsi un pays fragile, encore mal remis d’une longue guerre civile achevée en 1992. La pauvreté reste endémique et touche plus de 50 % de la population. Ce taux déjà élevé explose en zone rurale, alors que 80 % de la population travaille dans le secteur agricole. Les inégalités entre ces populations, particulièrement excentrées, et les élites urbaines sont profondes. Les décisions prises actuellement par les autorités, dessinant progressivement le modèle de développement du secteur énergétique (part consommée et part exportée, modes de transformation, processus de redistribution des revenus et développement local, protection environnementale, transparence), auront des conséquences majeures et difficilement réversibles sur la situation du Mozambique pour plusieurs décennies.

Benjamin Augé dresse un portrait plutôt pessimiste du cadre industriel, humain, gouvernemental et administratif chargé de ces premières orientations au Mozambique.

Volet opérationnel : un manque de préparation

Depuis plusieurs années déjà, les investissements des entreprises étrangères dans le pays ont explosé. Pourtant, le Mozambique semble loin d’être prêt à exploiter dans de bonnes conditions les hydrocarbures gaziers. Du côté des infrastructures d’abord, rien ne le préparait à tels besoins ; l’industrie extractive (charbon et or notamment) était jusqu’alors marginale et ne représentait en 2012 que 1,7 % du PIB.

Vue satellite du port de Pemba, capitale de la province de Cabo Delgado. Crédits: Google Maps, 2013
Vue satellite du port de Pemba, capitale de la province de Cabo Delgado. Crédits: Google Maps, 2013

Les chantiers nécessaires pour doter le pays, et en particulier les zones d’exploitation très isolées et éloignées de la capitale, d’usines, de voies de communication, de canaux d’acheminement et d’exportation du gaz sont monumentaux ; les premiers ont été lancés mais les délais de construction retardent le moment de pleine exploitation du gaz. Du point de vue des ressources humaines, la main-d’œuvre qualifiée est quasi inexistante dans la région d’exploitation ; les taux d’alphabétisation dans ces zones ne dépassent guère les 7 % (contre une moyenne nationale d’environ 50 %) ; les rares cadres disponibles, conscients d’être très demandés, posent des exigences difficiles à tenir pour les compagnies qui doivent composer avec un turn-over record. Il est à noter néanmoins que les besoins de personnel local des usines extractives et de liquéfaction sont peu importants ; il revient à l’État de s’appuyer sur cette industrie pour créer des bassins d’emplois dynamiques autour de la ressource (la construction de centrales électriques et d’usines de production d’engrais serait privilégiée). Les fonctionnaires et membres de l’administration sont également insuffisamment formés, ce qui entrave et ralentit fortement les processus, notamment la circulation de l’information (problème certes accentué par des obstacles structurels…et de volontés personnelles). Enfin, le cadre juridique est aujourd’hui encore trop lacunaire pour rassurer et encadrer les investisseurs étrangers ; les récentes tentatives abruptes de l’État pour combler les vides réglementaires doivent selon Benjamin Augé être poursuivies avec une meilleure consultation des parties prenantes.

Une gouvernance en question

Le Frelimo (Frente de Libertação de Moçambique), parti au pouvoir originellement marxiste et réorienté vers le libéralisme dans les années 1990, est très impliqué dans le milieu des affaires et cherche à contrôler au plus près les activités d’exploitation des ressources gazières. Cette implication peut entraîner des retards dans la réalisation de certains projets. Plus grave, le clientélisme et les conflits d’intérêt sont légion ; de nombreux cadres du parti ont ainsi créé leur société privée et acquis des permis d’exploration, qu’ils revendent à prix fort aux compagnies étrangères.

Des efforts d’assainissement de la situation sont cependant à souligner. En 2012, le Mozambique a adhéré à l’Initiative de transparence des industries extractives (ITIE) et adopté une loi sur l’intégrité publique, interdisant notamment aux députés de diriger des compagnies d’État. Si ces mesures vont dans la bonne direction, elles sont cependant encore largement symboliques.

Les contre-pouvoirs paraissent quant à eux trop faibles pour exercer une véritable pression sur les décideurs en faveur d’une meilleure transparence, redistribution, et gestion équitable de la ressource. Les partis d’opposition (Renamo – Resistência Nacional Moçambicana -, MDM – Movimento Democrático de Moçambique -) méconnaissent largement les enjeux du secteur. Les ONG dédiées à ces questions sont peu nombreuses, marginales, manquent d’informations sur lesquelles appuyer leur travail et de connaissances pour analyser un secteur très technique. Ces contre-pouvoirs ont pourtant un rôle central à jouer pour que le Mozambique emprunte la voie du Ghana, dont la gestion des revenus du pétrole est souvent citée comme relativement exemplaire.

Consultez l’intégralité de la Note
Le gaz au Mozambique, une évolution économique à haut risque,
par Benjamin Augé

 Camille Niaufre

UPDATE – June 2014
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