Imbonerakure à l’entraînement. Source : Desire Nimubona/IRIN
Imbonerakure à l’entraînement. Source : Desire Nimubona/IRIN

Le Burundi, qui est sorti d’une longue guerre civile au début du siècle, connait une décennie de paix et va procéder en 2015 à sa troisième élection présidentielle depuis la fin conflit. Cela signifie-t-il pour autant que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ? On pourrait en douter au regard du début de la campagne pré-électorale.

Le processus électoral est mal parti

L’accord d’Arusha (2000) – dont Nelson Mandela fut l’un des principaux artisans – est considéré comme l’instrument fondateur de la paix au Burundi. Le modèle consociatif de partage du pouvoir entre la majorité Hutu (85 % de la population), aujourd’hui au pouvoir, et la minorité Tutsi (14 % des Burundais), longtemps à la tête du pays, a été la solution à une guerre civile de plusieurs décennies. Mais quatorze ans plus tard, l’enjeu véritable de la prochaine élection n’est pas seulement la reconduction au pouvoir du président Pierre Nkurunziza mais la survie de l’accord d’Arusha.

Un an avant l’échéance électorale, la campagne a déjà débuté au Burundi, démontrant la détermination du parti au pouvoir depuis 2005 (le CNDD – FDD) à rester en place. Après un second mandat du président Nkurunziza caractérisé par la fin du dialogue politique, 2014 a commencé sous de mauvaises augures :

Le pourrissement de la situation politique s’accompagne également d’arrière-pensées guerrières. En effet, l’ONU soupçonne le CNDD-FDD d’armer les Imbonerakure, bras armé du parti au pouvoir composé majoritairement de jeunes partisans, ce qui suscite de fortes inquiétudes parmi les officiers tutsi. Ces accusations ont créé une mini-crise entre les Nations Unies et le régime qui s’efforce de se débarrasser d’une présence politique de l’ONU avant les élections de 2015.

Le véritable enjeu des élections de 2015

Mais l’arbre cache la forêt. Les manœuvres actuelles pour légaliser une nouvelle candidature du président Nkurunziza en 2015 et, ce faisant, assurer un troisième mandat au CNDD-FDD, dissimulent le véritable enjeu de cette élection : la fin de l’accord d’Arusha. Le CNDD-FDD n’a jamais fait mystère de son rejet de l’accord d’Arusha. Cet accord rend obligatoire un partage du pouvoir qui, à son avis, est contraire à la réalité des urnes. De plus, depuis 2005, le CNDD-FDD a bloqué la mise en œuvre d’un des aspects fondamentaux de cet accord : la justice transitionnelle qui, à travers une Commission Vérité qui demeure une coquille vide, est censée consolider une paix fragile. La tentative de révision constitutionnelle rejetée à une voix près à l’assemblée au mois de mars révélait le nouveau système de pouvoir que le CNDD-FDD voudrait imposer lors de son prochain mandat. Très éloigné de l’esprit des accords d’Arusha, le projet proposait un remaniement en profondeur de la Constitution de 2005 : le poids de l’exécutif serait renforcé, le nombre de mandats présidentiels consécutifs amendé et l’équilibre politico-ethnique mis à mal. La référence à Arusha dans le préambule serait notamment supprimée, les deux postes de vice-présidents ethniquement équilibrés remplacés par un Premier ministre aux pouvoirs renforcés et un vice-président honorifique, et la majorité simple succéderait à la majorité des deux tiers pour les votes dans un Parlement déjà composé à 60 % de Hutu et à 40 % de Tutsi. Une deuxième mouture du projet serait en préparation.

La période post-post-transition voulue par le CNDD-FDD risque de devenir une période de pré-conflit. Contrairement à ce que pense le parti au pouvoir, l’accord de paix d’Arusha a toute sa raison d’être car loin d’être consolidée, la paix est encore fragile au Burundi. D’une part, l’accord préserve un délicat équilibre politico-ethnique entre Tutsi et Hutu et, d’autre part, le passé n’a malheureusement pas été purgé de ses démons : il n’y a eu en effet au Burundi ni vérité ni réconciliation. En d’autres termes, le passé est encore trop présent pour vouloir radicalement reconfigurer le futur du Burundi.

Violette Tournier

Violette Tournier, diplômée de Sciences Po Toulouse en 2014, s’est spécialisée sur l’Afrique de l’Est et la région des Grands Lacs ainsi que l’Afrique du Nord et le Sahel. Basée à Nairobi, elle travaille pour divers think-tanks.