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TV5 Monde Afrique diffuse des programmes destinés aux populations africaines francophones ainsi qu’aux diasporas. Source: Telerama

Ce texte est la suite d’un premier post paru sur Afrique Décryptages ; retrouvez-le en cliquant ici.

La France possède d’indéniables atouts pour tirer parti de la présence du français en Afrique et même en faire un moteur de développement économique. Cette situation stratégique n’est cependant pas acquise : sans intervention volontariste de la France, le français pourrait reculer rapidement en Afrique. Par ailleurs, la nébuleuse des institutions françaises rend difficile la mise en place d’une stratégie sur la question. La francophonie est-elle donc en danger ? La France a-t-elle les capacités pour en faire une véritable ressource ?

Vers un modèle culturel stratégique et rationnalisé

Une langue forte mais en danger

Pour atteindre ses objectifs, la francophonie doit être « travaillée ». Un travail qui devrait commencer par la langue, dont le rayonnement même n’est pas acquis. En effet, la croissance démographique africaine ne signifie pas croissance mécanique du français : les écoles manquent, d’autres langues s’imposent, parfois comme des marqueurs identitaires forts contre la langue française des élites (comme le wolof au Sénégal). L’anglais peut également être préféré pour des raisons économiques et régionales, comme au Rwanda, où le français régresse rapidement depuis que l’anglais a été adopté comme langue officielle conjointe.

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Ouverture d’un centre culturel chinois au Nigeria en mai 2014. Source: CCTV

Conserver une influence culturelle est donc important pour sécuriser les opportunités économiques. À titre d’exemple, l’influence chinoise ne se mesure pas uniquement à l’aune de ses investissements économiques, mais aussi de sa diffusion culturelle. Cependant, malgré leur nombre important, les produits culturels francophones sont dispersés et inégalement répartis. Ainsi, TV5 Monde a un taux de pénétration en Afrique très inégal : 97 % au Mali mais 19 % au Burundi.

Le potentiel de l’Afrique est pourtant considérable. Et, du fait de sa
croissance démographique, il devient essentiel de centrer les efforts sur l’enseignement du français. La France est sur ce sujet un acteur prépondérant puisqu’elle participe, par exemple, pour plus de la moitié du budget de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF); bien que d’autres pays francophones participent eux aussi à la promotion de la langue française, à l’image du Canada, leur action demeure plus modeste. Le réseau d’Alliances françaises est déjà en place sur le continent et très actif puisque présent dans 37 pays et formant 71 000 étudiants. Mais il semble important de travailler également en partenariat directement avec les gouvernements et les ministères de l’Éducation francophones pour soutenir un enseignement du français mis à mal par la croissance démographique très rapide du continent et le faible niveau de français de nombre d’enseignants.

Une nécessaire rationalisation des institutions françaises

Les objectifs de la diplomatie économique dirigée par le ministère des Affaires étrangères mettent au second plan le potentiel d’influence du modèle culturel français, bien plus productif que son modèle entrepreneurial. Pourtant, l’expertise culturelle de la France est recherchée par de nombreux pays comme le montre l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui souhaite en faire un levier de sa stratégie d’intégration.

Les synergies sont difficiles à mettre en place car l’action internationale est très divisée entre les ministères qui, pour certains, manquent de moyens. Ainsi, l’action extérieure d’un ministère de la Culture semble insuffisamment subventionnée (l’action culturelle internationale est faiblement dotée d’environ 6 millions d’euros pour l’année 2014) au regard des enjeux que nous avons décrits.
Par ailleurs, les évolutions nécessaires au renforcement du rayonnement culturel de la France en Afrique sont obérées par la difficulté toujours réelle à se procurer des visas. Ainsi, la question des visas, stratégique et culturelle, reste gérée par le ministère de l’Intérieur. De ce fait, les migrants apparaissent bien plus comme une menace à la sécurité intérieure que comme une ressource pour le développement économique et le rayonnement culturel de la France.

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Les étudiants doivent suivre les procédures de Campus France pour obtenir un visa d’études. Source: Campus France Congo.

Il existe des programmes d’excellence pour accueillir des étudiants. Ces programmes sont cependant éclatés et insuffisants, malgré la création en 2012 de Campus France (sous tutelle jointe du ministère des Affaires étrangères et du ministère de l’Enseignement supérieur). Ainsi, aucune mention à l’Afrique n’est faite dans le Document de Politique Transversale 2014 pour le programme 150 relatif à la recherche.

L’intégralité des programmes touchant à l’éducation ou à la culture est donc directement ou indirectement pilotée par le ministère des Affaires étrangères. Il semblerait intéressant de parier sur une meilleure coordination et répartition institutionnelle, sur une plus grande dotation des ministères dont les secteurs font la valeur ajoutée de la francophonie. La stratégie pour la francophonie, ainsi rationalisée, ne reposerait plus uniquement sur des institutions au fonctionnement trop rigide.

Conclusion : assumer ses positions

La première nécessité consiste à définir clairement ce qu’est la francophonie. Atout économique majeur pour Jacques Attali, Laurent Fabius continue de la présenter avant tout comme un vecteur de « valeurs ». Par ailleurs, le positionnement de la diplomatie française semble hésitant, réticent à adopter une ligne claire. Il est indéniable que la France joue un rôle en termes de diffusion de normes et de valeurs universelles (par exemple, l’ONU s’appuie sur l’OIF dans la réalisation de ses objectifs de paix et de développement). Cet atout n’est cependant pas pleinement utilisé et constitue dans la diplomatie française un « impensé stratégique » limitant finalement la portée et la cohérence de la politique économique, qui ne peut être présentée clairement en termes d’intérêts, comme le font les Américains ou les Chinois.

 Hélène Quénot-Suarez et Mélanie Vion