Mardi 26 juin 2018

Conférence organisée à l’Ifri, Paris 

Ecouter l’intégralité de la conférence

Introduction – Alain Antil

En février 2018, quelques semaines après la conférence nationale élective de l’ANC, le parti retirait sa confiance au président en exercice, Jacob Zuma alors empêtré dans des affaires de corruption. Cyril Ramaphosa, qui venait d’être élu à la tête de l’ANC, accéda alors à la présidence de la République sud-africaine, et c’est lui qui mènera la campagne de l’ANC aux prochaines élections générales qui se tiendront entre avril et août 2019.

Dans un premier temps, Nicolas Pons-Vignon, enseignant-chercheur à l’université du Witwatersrand en Afrique du Sud, analysera une économie sud-africaine inquiétante à de multiples égards. Dans quelle mesure Cyril Ramaphosa pourra-t-il réorganiser l’économie de son pays ?

Dans un second temps, Victor Magnani, chargé de projets au sein du Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri et organisateur de la conférence, présentera les évolutions de la vie politique sud-africaine. Les récentes tensions intra-partisanes qui ont publiquement éclatées augurent-elles un déclin de l’ANC au profit des partis d’opposition ou bien est-ce que l’arrivée de Cyril Ramaphosa permettra de recoudre le parti et de dépasser les clivages internes ?

Enfin, SE l’Ambassadeur de la République d’Afrique du Sud en France Rapulane Syndney Molekane reviendra sur la politique étrangère de son pays. Si l’Afrique du Sud a toujours joui d’une projection diplomatique importante, le mandat de Jacob Zuma a semblé ralentir son rayonnement continental. Assisterons-nous à un renouveau de la politique étrangère sud-africaine sous Ramaphosa ?

L’Afrique du Sud sous Ramaphosa. Une analyse d’économie politique – Nicolas Pons-Vignon

Le récent changement de gouvernement a suscité de nombreux espoirs. Mais dans quelle mesure l’imbrication entre contrôle économique, distribution de la richesse et élites en Afrique du Sud permet de croire en une réelle « transformation économique radicale » ?

Le décollage socio-économique en Afrique du Sud est principalement entravé par deux phénomènes :

  • L’absence d’élites bureaucratiques qui permettraient de mener à travers l’appareil d’Etat un projet de transformation de l’économie. Leur absence permet l’enrichissement d’élites privées qui investissent des secteurs qui devraient être mis en œuvre par l’Etat.
  • L’absence de bourgeoisie nationale. Dès la fin de l’apartheid, l’Etat sud-africain a été la cible d’un intense lobbying de grands groupes dans le but de libéraliser une finance qui avait jusque-là très contrôlée par les Boers et les Anglo-sud-africains. Contrairement aux promesses, les capitaux sud-africains se sont massivement expatriés et beaucoup d’investissements réalisés sont aujourd’hui des « fly-by-night operations», c’est-à-dire des investissements transitoires et opaques qui ne permettent pas de consolider l’économie nationale. A moyen-terme, la situation est plutôt inquiétante puisqu’on ne voit pas poindre l’émergence d’un groupe de capitalistes susceptible de reproduire le socle de croissance économique des années 1950-1960 fondé sur un partenariat entrepreneurs-Etat. Pis, le problème ne réside non pas dans le fait que les choses ne peuvent pas continuer comme elles le sont mais qu’elles peuvent très bien continuer ainsi. L’analyse de l’économie politique sud-africaine montre en effet que celle-ci s’articule autour de logiques structurantes. Dans cette perspective, les changements récents de personnel politique ne pourront vraisemblablement apporter que des changements socio-économiques à la marge.

Quels sont donc les principaux traits de l’économie politique sud-africaine ?

L’Afrique du Sud peut être qualifiée de « démocratie violente ». Bien qu’il s’agisse formellement d’une démocratie qui fonctionne (élections à intervalles réguliers, système judiciaire crédible, etc.), la violence est une réalité quotidienne à tous les niveaux. Ainsi, les grèves et les mouvements sociaux peuvent prendre des formes très violentes, par exemple à l’occasion des « service delivery protests », des manifestations réclamant la fourniture de services publics.

Cette violence s’inscrit plus systématiquement dans un mode de gestion clientéliste de la démocratie dans lequel l’ANC joue un rôle central. On remarque en effet que les localités les plus frappées par les violences sont des localités où ont lieu des luttes entre factions internes à l’ANC. Ces luttes portent souvent sur la légitimité de l’investiture aux prochaines élections puisque qu’accéder au pouvoir municipal signifierait avoir accès à de nouvelles ressources permettant d’alimenter et d’accroître son cercle de dépendants. Ce système de distribution de rentes s’exprime également au niveau de la politique nationale. Ainsi, la réorganisation des entreprises publiques après la fin de l’apartheid a conduit l’ANC à placer certaines personnalités non-qualifiées à des postes-clefs, comme ce fut le cas de la South African Airways dans les années 1990. Si ce mode de gestion n’est pas spécifiquement sud-africain ou africain dans la mesure où l’on peut remarquer des similitudes avec la France des Trente Glorieuses, la question qui se pose est la viabilité de ce mode de gestion en tant que générateur de richesses. Si le principal intérêt est politique car il permet à l’ANC de se maintenir au pouvoir de manière relativement stable dans le temps, ce système crée de très fortes frustrations parmi la population. Cette dernière observe en effet le décalage entre la réussite matérielle de quelques happy few insérés dans des « bon réseaux » et la situation d’une majorité confrontée à une économie sclérosée.

Tout ceci constitue un « pacte politique » peu favorable à la croissance économique. En effet,  la distribution de rentes ne se fait pas autour de secteurs qui pourraient créer des richesses. L’économie sud-africaine, bien qu’elle soit importante à l’échelle continentale (2ième économie continentale), rencontre de graves difficultés : faible croissance, taux de chômage réel de l’ordre de 40 %, taux d’activité faible, précarisation du salariat… De plus, l’Etat-social sud-africain se révèle peu efficace dans la mesure où, en dépit de dépenses élevées, il tend à délaisser les services publics au secteur privé. C’est en ce sens que l’on a pu parler de « capture de l’Etat » par le privé en Afrique du Sud. Le projet portant sur la création du National Health Insurance est à ce titre éloquent. Il s’agit à l’origine de financer l’accès de tous à une assurance de santé. Au gré des débats et du lobbying des professionnels privés du secteur de la santé, il a été décidé que le NHI donnera la possibilité à l’assuré de choisir le lieu de soins. Or, le service de santé public étant de piètre qualité, il est fort probable que la plupart des assurés chercheront d’abord se faire soigner dans les cliniques privées, faisant ainsi exploser les dépenses de santé.

Est-ce que le changement en Afrique du Sud est une possibilité ?

Le récent changement de gouvernement a eu un certain impact, notamment en matière de corruption puisque ce sont précisément des scandales liés notamment à la famille Gupta qui ont précipité la chute de Jacob Zuma. En réalité, la nature du problème sud-africain est plus profonde que de simples scandales ou dérives qu’un renouvellement de personnel politique – somme toute relativement limité – permettrait de régler. Comme nous l’avons vu, ces affaires font partie d’un mode plus large de gestion de la démocratie. Il est donc légitime d’être assez pessimiste sur les possibilités de changement avec l’arrivée de Cyril Ramaphosa, d’autant plus que l’hégémonie de l’ANC sur le jeu politique national et local nuit à l’élaboration d’une réelle volonté réformatrice puisque procéder à de substantielles réformes conduirait à saper les structures sur lesquelles que le parti se repose. Enfin, même s’il y avait une volonté de réformer en profondeur l’Afrique du Sud, il n’y pas de consensus sur le contenu des politiques à mener ni même la capacité bureaucratique pour les mettre en œuvre. Pour que l’Afrique du Sud se développe, il devrait y avoir une correspondance entre les secteurs porteurs de croissance et des élites politiques liées à ce secteur, comme des industriels noirs soutenus par le gouvernement. Cette émergence d’industriels noirs est toutefois freinée par l’émergence d’une classe « parasite » d’importateurs noirs qui vont capter les marchés locaux dynamiques en bénéficiant du Black Economic Empowerment – politique de discrimination positive visant à corriger les privilèges induits par l’Apartheid. Ces groupes sont « parasites » car ils ne servent que d’intermédiaires à des producteurs étrangers et prennent donc la place de producteurs locaux.

Pour développer le pays, pourquoi l’Afrique du sud ne nationaliserait-elle pas les mines ? Le pays dispose en effet de nombreuses ressources naturelles qui sont aujourd’hui soient exploitées par des groupes appartenant à des sud-Africains blancs ou à des compagnies étrangères. Le problème est que l’Afrique du Sud ne dispose pas d’assez de main-d’œuvre qualifiée pour produire et vendre les ressources extractives présentes dans son sous-sol.

Etat des lieux des forces politiques en Afrique du Sud. Vers un renouveau de l’espace politique ? – Victor Magnani

L’ANC est un parti quasi-hégémonique. Cette hégémonie est prégnante au regard des élections puisque depuis les premières élections libres et démocratiques de 1994, le parti n’a cessé de remporter les divers scrutins avec une large majorité. Toutefois, les élections municipales d’août 2016 ont marqué un net retrait du score électoral de l’ANC : ce dernier n’a obtenu que 54 % des voix et a perdu huit points par rapport aux précédentes élections municipales. De surcroît, ces élections ont conduit à la perte de grandes villes comme Nelson Mandela Bay, Tshwane et Johannesburg, tombées dans les mains de l’Alliance Démocratique (DA). Ces municipalités acquises à l’opposition ont des prérogatives importantes, notamment pour l’approvisionnement des populations en eau et en électricité́. De plus, les budgets municipaux de ces grandes villes sont considérables et permettent aux partis de conforter leur assise locale. Mais il n’en demeure pas moins que l’ANC reste la principale force politique du pays et qu’il s’agit du seul parti capable de s’implanter localement sur l’ensemble du territoire.

Comment expliquer le récent recul de l’ANC ?

Tout d’abord, par la désillusion suscitée par les gouvernements Zuma. En arrivant au pouvoir en 2009, celui-ci suscitait énormément d’espoirs. Soutenu notamment par les syndicats et le mouvement de jeunesse de l’ANC, il promettait d’améliorer le niveau de vie de la population. Mais les piètres résultats économiques et les nombreux scandales émaillèrent gravement son image. L’impopularité croissante de Zuma se doubla d’une montée de la contestation dans les villes mais aussi au sein de l’ANC.

L’ANC est un parti historiquement divisé car traversé par différents courants idéologiques. La conférence nationale de Polokwane en 2007 a mis en lumière une très forte ligne de fracture entre Thabo Mbeki, président de l’époque et défendant un agenda libéral, et Jacob Zuma, promettant des changements radicaux pour les populations les plus pauvres. Au terme de cette conférence, de nombreux cadres de l’ANC avaient démissionné du parti. Ce niveau de tension fut retrouvé lors de la conférence nationale de décembre 2017 lorsque la faction de Jacob Zuma, incarnée par Nkosazana Dlamini-Zuma, représentant la continuité, s’opposa à celle coalisée autour de Cyril Ramaphosa. En dépit de la victoire de Cyril Ramaphosa, cette conférence a mis en lumière la division régnant au sein de l’ANC puisque ces deux factions disposent d’une influence quasi-équivalente au sein du parti. Parmi le top 6 élu en 2017 – c’est-à-dire les six personnalités les plus importantes au sein du parti – trois étaient acquises à Dlamini-Zuma et trois autres à Ramaphosa. Par conséquent, Cyril Ramaphosa, une fois élu à la tête de l’ANC avec moins de deux-cents de voix d’avance, dût immédiatement composer avec ses rivaux. Il se retrouve ainsi dans la situation paradoxale de devoir incarner le changement tout en préservant l’unité de son parti. S’il a, par son habileté, réussi à convaincre la plupart des cadres du parti de pousser Jacob Zuma vers la sortie, il n’a cependant pas réussi à faire taire toute contestation au sein de l’ANC.

Par ailleurs, depuis son arrivée au pouvoir depuis 1994, l’ANC semble rencontrer des difficultés à renouveler ses élites politiques. Force est de constater que l’essentiel des cadres actuels tiennent encore leur légitimité de la lutte contre l’apartheid. Ceci a pour conséquence de déconnecter le parti de la jeunesse urbaine, en particulier celle appelée born-free generation, c’est-à-dire née après la fin de l’apartheid. A l’inverse, les forces de l’opposition sont incarnées par des cadres et des militants plus jeunes.

Forces de l’opposition : la Democratic Alliance (DA) et les Economic Freedom Fighters (EFF)

La DA connait une progression constante depuis sa création en 2000. Alors qu’elle ne recueillait que 14 % des suffrages en 2004, l’Alliance démocratique en recevait 27 % en 2016. Souvent catégorisé comme un parti de centre-droit promouvant un libéralisme économique et sociétal, il a souvent été associé aux minorités. D’ailleurs, les bases électorale et militante ont toujours été davantage blanches. En tant que parti prétendant à l’exercice du pouvoir, la DA a mis en œuvre plusieurs stratégies.

  • Promouvoir la diversité interne. Renouvellement de l’image du parti en promouvant des cadres dirigeants noirs afin de rompre avec l’étiquette de « parti de Blancs ». La figure la plus emblématique est celle de Mmusi Maimane qui a été propulsé à la tête du parti en 2015.
  • Améliorer le maillage territorial du parti. S’implanter sur l’ensemble du territoire sud-africain.
  • Mise en avant d’une forme alternative de gouvernance. Les villes remportées par la DA deviennent en effet des vitrines d’une « politique alternative », à grand renfort d’enquêtes d’opinion et de statistiques. Cette stratégie va sans doute se poursuivre à la faveur des nouvelles municipalités acquises par la DA, dans le Gauteng notamment.

Les EFF, présents sur la scène politique sud-africaine depuis 2013, constituent une branche sécessioniste de l’ANC. Julius Malema et Floyd Shivambu, respectivement Président et vice-Président de l’EFF, ont occupé des fonctions importantes au sein du mouvement de jeunesse de l’ANC. Ils portent un programme de « transformation économique radicale » et capitalisent sur une image contestataire : uniformes de travailleurs rouges, charivari au Parlement, slogans chocs… Leurs résultats électoraux demeurent limités avec seulement 8 % des voix lors des dernières élections. Ils jouissent cependant d’une grande popularité au sein des jeunes urbains noirs.

La principale stratégie de ce parti est la délégitimation de l’ANC, en particulier en remettant en cause la mémoire collective qui ferait du parti de Mandela la seule organisation engagée dans la lutte contre l’apartheid. C’est pourquoi ils réhabilitent des figures contestataires et alternatives comme Robert Sobukwe ou Steve Biko. Dans cette démarche, la question raciale – présente en particulier dans le débat de l’expropriation sans compensation – occupe une place importante et permet de contester le bien-fondé de la politique de réconciliation prônée par Mandela.

Que doit-on attendre des élections de 2019 ?

L’ANC est en bien meilleure posture qu’en 2016. Cyril Ramaphosa, vierge de scandales de corruption, se présente comme le candidat du renouveau et suscite de nombreux espoirs. On peut donc s’attendre à un regain électoral pour l’ANC. Il s’agira notamment d’observer le taux d’abstention car il existe un immense réservoir de votes pour l’ANC : en 2016, près de 40 % des électeurs se sont abstenus, sans doute à cause d’un certain détachement vis-à-vis d’un parti handicapé par de nombreuses affaires mais ces électeurs ne semblent pas prêts à se tourner vers des forces politiques alternatives.

Peut-on imaginer une coalition des forces de l’opposition ? S’il est vrai qu’il y a des discussions entre les cadres de l’EFF et de la DA, il est peu probable d’assister à l’émergence d’une coalition durable, compte tenu des nombreux points de divergence idéologiques entre les deux partis. En revanche, il serait davantage probable d’assister un rapprochement entre l’EFF et l’ANC maintenant que Zuma – la figure qui cristallisait en réalité l’essentiel des anathèmes contre l’ANC – est partie.

La politique étrangère sud-africaine – Ambassadeur Molekane

La politique étrangère sud-africaine se base notamment sur la Charte de la liberté (Freedom Charter) rédigée en juin 1955 par divers mouvements anti-apartheid, dont l’ANC. Cette Charte défend la paix, la sécurité et les droits humains. Nelson Mandela, en tant que premier président élu par tous les Sud-africains, incarna cette conception de la politique étrangère en s’engageant directement dans les affaires internationales du continent africain.

La politique étrangère de l’Afrique du Sud n’est pas déconnectée des affaires internes. Il doit y avoir une continuité et une cohérence entre les deux sphères. En tant que jeune démocratie (24 ans) et en tant que jeune continent indépendant, l’Afrique du Sud et le continent africain rencontrent des problèmes qui ne peuvent se résoudre en l’espace de quelques années seulement. L’histoire sud-africaine – comme celle de nombreux pays africains – a été marquée par la colonisation. Mais cette colonisation a perduré avec le maintien d’un Etat détenu par les oppresseurs mettant en place tout un système d’encadrement du reste de la population : distribution des richesses, accès à l’éducation… Aujourd’hui encore, la majorité noire est défavorisée à bien des égards par rapport aux Blancs. L’héritage de l’Etat d’apartheid s’est également donné à voir au sein des administrations. En 1994, seule une soixantaine de cadres provenant des partis anti-apartheid intègrent les services des Affaires Etrangères, l’essentiel du personnel des fonctionnaires blancs était déjà présent sous le régime d’apartheid. Cela a donc posé un certain nombre de problèmes pour mettre en œuvre une nouvelle politique, qu’elle soit étrangère ou intérieure.

Les principes qui déterminent la politique étrangère sud-africaine sont la transformation durable de l’économie nationale et continentale et favoriser l’empowerment des citoyens. Cela passe par l’intensification de l’intégration régionale (à travers la SADC, que l’Afrique du Sud dirigera jusqu’en août dans le cadre de la présidence tournante), par le renforcement du rayonnement diplomatique de l’Afrique…

L’arrivée de Cyril Ramaphosa est porteuse d’espoirs (on parle en Afrique du Sud de ramaphoria – contraction en anglais de Ramaphosa et d’euphorie) en ce qu’il cherche à régler les problèmes fondamentaux du chômage et du développement économique. Il a en effet déjà annoncé l’organisation de conférences internationales portant sur l’investissement en Afrique du Sud pour octobre 2018. Il existe bien sûr d’autres problèmes, comme le rapport avec le voisin zimbabwéen qui est confronté au problème de l’organisation d’élections.

La politique étrangère sud-africaine sera marquée par l’élection du pays au Conseil de Sécurité de l’ONU en tant que membre non-permanent pour la période 2019-2020. L’Afrique du Sud profitera de cette opportunité pour porter au Conseil les principaux défis que doit relever le continent africain : l’instauration d’une paix durable en Lybie, la réforme du Conseil de Sécurité de l’ONU qui devrait être plus représentatif…

De plus, l’Afrique du Sud accueillera le 10ième sommet des BRICS. Ce groupe de 5 pays est capital car il regroupe des pays qui ont un fort potentiel économique et qui cherchent à se diversifier. Parallèlement, l’Afrique du Sud joue un rôle important au sein de l’Indian Ocean Rim Association. La politique majeure portée par cette organisation internationale est « l’économie bleue », c’est-à-dire une économie durable fondée sur les océans.

L’action de Cyril Ramaphosa prendra une toute autre dimension lorsque celui-ci sera effectivement élu, et sa légitimité consolidée, après les élections de 2019.

Questions/Réponses

Qu’en est-il des clivages au sein de l’ANC, plusieurs mois après que Cyril Ramaphosa ait pris le pouvoir ?

Ambassadeur : L’ANC a toujours été traversé par des tensions importantes à cause, notamment, de la grande diversité de ses membres. Ceci est inscrit dans l’ADN du parti. Malgré tout, Ramaphosa a bien géré les tensions depuis qu’il est arrivé à la tête de l’ANC fin 2017.

Victor Magnani : La situation était potentiellement explosive après la conférence de décembre 2017. Ramaphosa a effectivement fait preuve d’une grande habileté politique en maintenant ensemble son parti. Toutefois, il y a toujours à l’ANC une grande discipline interne, prévenant ainsi toute contestation d’un vote ou d’une décision. C’est pourquoi les contestations sont réglées au sein même du parti, tout est fait pour éviter que les membres se tournent vers les tribunaux. Enfin, les factions ne sont pas des blocs monolithiques, les allégeances peuvent évoluer, on observe depuis quelques mois des personnalités supposément proches de Zuma rejoindre le camp de Ramaphosa qui semble assoir son autorité.

Nicolas Pons-Vignon : Ce ne sont pas des tensions idéologiques qui traversent le parti mais davantage des tensions entre groupes unis autour d’intérêts. L’aspect idéologique sert surtout de justification, de leurre mais ne constitue pas le fond des tensions.

Sur le site officiel du nouveau gouvernement, les ministres communistes étaient étiquetés comme tels alors qu’auparavant ils étaient considérés comme membres de l’ANC. Qu’est-ce que cela traduit ? Une affirmation de l’idéologie communiste ?

Victor Magnani : Les communistes – mais aussi la COSATU avec qui ils sont alliés au sein de l’alliance tripartite avec l’ANC – ont soutenu Jacob Zuma à la fin des années 2000 avant de s’en détourner. Cyril Ramaphosa semble très attaché à cette union avec les syndicats et le parti communiste. L’étiquetage différencié des membres communistes peut donc être une façon de montrer que l’ANC ne gouverne pas seul et de mettre en avant la composante communiste et syndicale.

Ambassadeur : L’alliance entre la COSATU, les communistes et l’ANC, après avoir été sur le point de rompre, est aujourd’hui réactivée à l’initiative du parti communiste en brandissant le menace de présenter des candidats aux élections. Mais il est clair que les membres communistes qui sont dans le gouvernement ou sous un ticket de l’ANC, doivent répondre à la discipline de l’ANC.

Nicolas Pons-Vignon : L’hégémonie de l’ANC s’est sensiblement érodée, tant du point de vue des scores électoraux que de la coalition qu’elle arrivait à fédérer. En effet, le principal syndicat des métallurgistes a quitté la COSATU en raison d’une défiance de la gauche envers l’alliance tripartite. Cet affaiblissement de la COSATU a permis l’émergence d’une force syndicale alternative – la SAFTU qui a une forte base populaire. La principale tâche de Ramaphosa sera de reconsolider l’ANC et les alliances de l’ANC. Cet objectif est déjà sur l’agenda du nouveau président dans la mesure où l’on remarque des tentatives de rapprochements entre l’ANC et les EFF.

Quelle était la stratégie sud-africaine pour le développement économique du continent ? L’Afrique du Sud n’a pas encore signé l’accord de libre-échange continental.

Nicolas Pons-Vignon : Les grandes idées de collaboration régionale doivent avoir une base matérielle. Dans le cas contraire, on peut construire une organisation sans activité concrète, comme c’est le cas de la SADC.

Ambassadeur : la SADC poursuit un objectif d’intégration politique afin, à terme, d’atteindre une union panafricaine. Ainsi, la SADC s’occupe de la gestion des parcs transfrontaliers et met en œuvre des politiques de conservation de l’environnement. Quant à l’accord de libre-échange, si l’Afrique du Sud a initié le projet, elle ne l’a pas directement signé. Le président attend en effet du Parlement qu’il discute d’abord de l’accord avant d’éventuellement le signer. L’Afrique du Sud ne dévie cependant pas de son objectif qui est celui de promouvoir le commerce interafricain.

La relation France-Afrique du Sud a été marquée par des tensions autour de la Côte d’Ivoire, de l’intervention en Libye… Quelles sont les relations entre la France et l’Afrique du Sud ?

Ambassadeur : Le montant des échanges commerciaux entre la France et l’Afrique du Sud n’est pas très élevé mais les relations sont bonnes avec la France. Sous Jacob Zuma, un certain nombre d’accords ont été signées et ces derniers sont en passe d’être mis en place. Ces relations bilatérales sont organisées au sein du Forum Politique pour le dialogue. Le président Macron doit visiter l’Afrique du Sud d’ici la fin de l’année.